Le Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales a été publié ce jour au Journal officiel. Il vise à fixer “les règles relatives à l’utilisation des dénominations désignant des produits d’origine animale et les denrées alimentaires qui en sont issues aux fins de décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées contenant des protéines végétales”.
Ce décret rend effective l’application de l’article 5 de la Loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, qui indiquait que “Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales”. Il entrera en vigueur le 1er octobre 2022.
Ce décret s’inscrit dans une logique de protection étendue des intérêts économiques de la filière viande. Alors que des experts du climat, des professionnels de santé et des associations de consommateurs appellent aujourd’hui à mieux encadrer la commercialisation et la promotion des aliments les moins durables et à promouvoir des options plus saines, il risque d’entraver et de retarder le développement de la filière végétale en France ainsi que la transition vers des alimentations plus saines et durables à plus forte composante végétale.
Contexte
Fin 2020, l’ONAV ainsi que plusieurs représentants de l’industrie de la viande et du végétal avaient été auditionnés par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) afin d’échanger sur ce futur décret. Nous avions alors exprimé que : “La position de l’ONAV est qu’il n’y ait pas de fixation du seuil de protéines végétales maximal, et que les dénominations “steaks”, “saucisses”, “nuggets” et “aiguillettes”, puissent être utilisés par tous les industriels qui le souhaitent, pour des produits animaux, végétaux, ou mixtes”.
En effet :
- Ces dénominations sont déjà utilisées par une majorité de la population et ne gênent pas les consommateurs, la nature végétale des produits étant l’élément recherché et motivant l’acte d’achat ;
- Ces dénominations donnent des informations précieuses, notamment gustatives, ou relatives au mode de cuisson et de préparation de ces aliments. Donner d’autres dénominations à ces produits serait perturbant pour le consommateur ;
- Ces dénominations contribuent à rendre les produits végétaux plus attractifs, ce qui facilite ainsi le développement de la filière végétale dans, notamment, l’intérêt commun de réduction de l’impact environnemental de l’alimentation.
Nous avions également appelé à davantage de réglementation concernant l’utilisation de la dénomination “végétale” pour désigner les produits alimentaires contenant des ingrédients d’origine animale. Cette dénomination ne devrait être réservée qu’aux produits contenant exclusivement des produits d’origine végétale, donc exempts par exemple de viande, d’œufs ou de produits laitiers.
Conséquences de ce décret
Ce décret interdit d’utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales :
- Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n’est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ;
- Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale ;
- Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ;
- Une dénomination d’une denrée alimentaire d’origine animale représentative des usages commerciaux.
En pratique, ce décret entérine l’interdiction d’utilisation de dénominations usuelles telles que “steak végétal”, “saucisses végétales”, “aiguillettes de poulet”, “alternative végétale au thon” etc.
En revanche, la dénomination d’une denrée alimentaire d’origine animale peut être utilisée pour les denrées alimentaires d’origine animale contenant des protéines végétales dans une proportion déterminée, par exemple 7 % de protéines végétales dans les “Préparation de viande hachée”, 5 % dans les terrines ou encore 3,5 % dans les nuggets.
Le décret précise également que “Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret”. Ainsi, seuls les produits fabriqués en France sont concernés, ce qui soulève des questions concernant les entreprises françaises qui fabriquent leurs produits en France et qui souhaitent exporter. Par ailleurs, une entreprise belge ou espagnole pourra continuer à proposer dans les commerces français des produits utilisant ces dénominations.
Ce décret place la France dans une position conservatrice, à contre-courant des enjeux actuels et de la politique européenne sur ces questions. En octobre 2020, le Parlement européen avait voté contre l’interdiction de l’utilisation des dénominations des produits animaux pour désigner les alternatives végétales. En mai 2021, Le Conseil Européen et la Commission Européenne avaient rejeté l’amendement 171 qui visait à entraver le développement des laits végétaux en leur interdisant d’utiliser des illustrations évoquant le lait animal et de mettre en avant leur plus faible impact environnemental.
En décembre 2020, le plan France relance a initié une stratégie nationale dotée de plus de 120 millions d’euros pour le développement des protéines végétales en France. Aujourd’hui, alors que la démocratisation des alimentations saines et durables davantage végétales est un incontournable de la lutte contre le dérèglement climatique et les maladies de civilisation, ce décret interroge. Il apparaît comme inapplicable en pratique, car ces dénominations font déjà partie du quotidien de millions de Français, et disproportionné, car couvrant un ensemble extrêmement vaste de cas. Enfin, il ne cible que les entreprises produisant sur le territoire national, entraînant ainsi un désavantage concurrentiel que la France risque de payer à l’avenir.
Florimond Peureux, président de l’ONAV.